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Va donc, hey !... Tabernak...
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Va donc, hey !... Tabernak...
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1 octobre 2008

Ex libris

Aussi loin que je puisse fouiner dans mon souvenir, j’ai toujours aimé les livres. Bien avant la littérature. Le livre, en tant qu’objet, matériel et mystérieux, suscite en moi, depuis ma plus tendre enfance, une émotion sensuelle et une vénération quasi mystique. J’aime l’ouvrir, caresser le vélin des pages, faire craquer la reliure imperceptiblement (s’il n’y a pas de reliure, je suis, je dois l’avouer, un peu déçue), humer les essences ouatées du cuir, du bois et de l’encre mêlées, glisser mon pouce sur le bord des feuillets légers pour les faire tinter gaiement les uns contre les autres, et sentir le grain de chaque page s’y incruster, sable merveilleux, poussière de comètes, considérer gravement, pendant de longues minutes silencieuses et absorbées, les circonvolutions du tracé imprimé sensible au doigt, si l’on y fait très attention, comme un aveugle qui cherche à percer le secret d’une page traitreusement vierge. Je fais peu de cas des images et autres sortes d’illustrations ; qu’elles sont platement réalistes et dénuées d’imagination, comparées aux fantasmagories hallucinantes qui passent devant mes yeux grand ouverts ! Grâce au rituel, la magie s’accomplit ; je peux commencer ma lecture. Et je reviendrai tant de fois sur certains mots, sur certaines phrases, sur certains traits, sur certains signes connus de moi seule et qui me plongent dans le ravissement des anges, que j’oublierai où se situait le début, où sera la fin. Que m’importe de lire à cent reprises les deux mêmes lettres, si j’ai le plaisir sacré de faire frissonner la page sous la pression insistante du pouce et de l'index, avant-gardes du sens, éclaireurs de la conscience !, de palper les fines nervures du papier, douce trame pour le tisserand des mots, suave chemin pour le voyageur qui rêve.

            Avant même de savoir déchiffrer lettres, syllabes et mots, je savais lire tout ce qui me tombait sous la main. Rare privilège de l’enfance gracieuse ! Trônant sur mon pot, sérieuse comme un pape présidant une ordalie, je m’absorbais pendant des heures dans la contemplation des signes cabalistiques, détenteurs de significations cachées, révélées à la sagacité de mon analyse minutieuse. Ma technique était imparable ; si jeune, et si ignorante encore, aucun des mystères de l’exégèse ne m’avait résisté ! Il suffisait, simple prodige, trait du génie puéril, de retourner le livre pour que tout s’éclaircisse. Ainsi mis la tête à l’envers, son vrai sens apparaissait, comme un palimpseste mis au jour au souffle nouveau de la lampe de l’archéologue. Mes parents, le cœur serré par l’angoisse, imploraient Thot contre le danger d’une précoce dyslexie ! Je parcourais, tranquille, des heures durant, les étranges produits de mon imagination. Plus tard, quand on m’apprit à lire la tête sur les épaules, droit dans le sens commun, je perdis cette extraordinaire capacité totalement innée, utile au grammairien. Il me fallut réapprendre à lire entre les lignes, avec les grands textes de la littérature.

            Difficile de se souvenir du premier livre (je veux dire, du premier livre sérieux, pas d’un livre pour marmots en bas âge, sottes comptines ou fausses fables mièvres, emballées dans des tissus moelleux et niais, pour éviter que les chers petits ne s’écorchassent les doigts au traître contact des volumes glacés), du premier opuscule de quel auteur (car il faut choisir un auteur réputé facile, au moins aisément abordable, pour ne pas dire stupide) qu’on a eu dans les menottes. Je crois, pour ma part, si je porte toute ma concentration sur ce sujet délicat, qu’il s’agissait d’une pièce de théâtre, et peut-être bien, si je ne m’abuse – mais peut-on ne point s’abuser après tant d’années ? – du Médecin malgré lui, de mon excellent Poquelin. Par quel maléfice cet ouvrage sulfureux s’imposa-t-il à mes chastes prunelles ? Certainement par les oreilles. Je dus en effet entendre en classe, ou à la radio, cette fée des temps modernes, un extrait de la farce. Je devais avoir huit ans, tout au plus. Quand je lus moi-même cet extrait, je fus frappée, non de la douceur voluptueuse des phrases comme de fleurs cueillies à la rosée matutinale, ni de leur sagesse millénaire qui se dressait devant mes jeunes ans comme un très-vieux devin couronné d’étoiles, ni de la force terrassante de la raison, formidable chêne aux profondes racines, mais de l’incohérence graphique du texte ; tous mes livres de bébé, du genre naïf décrit ci-dessus, présentaient la même disposition convenue des paragraphes strictement justifiés et des typographies similaires sur fond de ciel, de prairie ou de champ de blé, docilement accolés aux illustrations (vous savez ma haine des illustrations) de gamins gentils comme des sucres candi ; les bandes dessinées seules échappaient un peu à cet affligeant cortège de mots et d’images, car les bulles issues des lèvres des héros nous permettaient de penser que les sons qu’ils émettaient se propageaient dans les airs comme dans un rêve. Ici, rien de tel : les suites de phrases semblaient voler sur les pages à leur guise, uniquement dirigées par le commandant de l’escadron, un gros nom en avant-poste. Certaines grappes se détachaient crânement, penchées vers l’avant comme dans un mouvement de dégoût, et venaient chuchoter à l’oreille du lecteur ce qu’il fallait penser de telle ou telle action qu’on allait lire, exigeantes directrices de conscience ! Dans d’autres pièces de ce même Molière, les mots étaient encore plus fous, jouaient à saute-mouton avec les lignes, ne respectaient pas les pliures, négligeaient de se poser sur certaines pages pour se rassembler, fourmillants, sur d’autres, où ils luttaient pour avoir la préséance. Vous imaginez quelle émotion put éprouver ma frêle poitrine à la vue de ce sanglant combat ! Eh bien, je m’en amusais, insouciante, je riais au spectacle nouveau, car ce qui étonne l’enfant, même le crime, lui donne du plaisir. J’étais séduite, envoûtée. Ce choc, je ne le ressentis encore que devant les œuvres poétiques d’Apollinaire ou de Prévert, et plus tard encore dans les romans de Perec et de Queneau. Là aussi, même salmigondis de signes, même bouillon de culture, même amusement pour les yeux. Et je n’étais qu’au seuil du monde vierge des fantasmes !

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Commentaires
T
Tu as fait un beau lapsus sur Outremont/Outrement, ou comment se ballader autrement... Mon chéri lointain, je sais, toutes les femmes sont folles à cause de leur utérus, qui les font regarder rien que de l'intérieur. L'expérience de nuit à Outremont était autre, et ça ne m'a pas empêché de visiter aussi de jour, et de m'extasier sur les petites familles aux maisons cossues... Les deux sont à voir ! aucune n'est à préférer. T'en fais pas pour moi, je me mêle à la foule, à tel point que je suis invisible ! la preuve : j'ai failli me faire écraser par un abruti en bas de chez moi, si ça c'est pas de l'intégration au paysage urbain ! <br /> En tout cas, cette promenade a eu l'air de te secouer, pour pondre un texte aussi lyriquement désespéré... l'expérience de la solitude, du vide encore une fois, alors qu'on est entouré, est assez cruelle pour que je la connaisse. On peut en rire, comme nous en prenons le parti toizémoi, ou en pleurer. Remets toi bien vite, et fais moi un prochain message plus joyeux, d'accord ? ;)<br /> Je n'ai pu aller au meeting d'aujourd'hui, car j'ai vu ton message... le jour même, à 9h du matin ! un peu tard tu ne trouves pas ? Par contre il y a une manif contre harper dimanche ou quoi au square dorchester, ils y vont tes ouailles ?<br /> allez, salut mon contraire attirant, et merci aussi à Janus pour son imitation toujours aussi réussie de Jouanna !! ça passe même par l'écran tellement c'est bon !!! et pour ses compliments; au moins un qui apprécie mes "délires sensuels" ! ;)
A
Ma chère réfugié de l'intérieur,<br /> <br /> Je constate avec chagrin que nous sommes peut-être incompatibles. Ta prose est merveilleuse, ton délire est sensuel, tes palpitations sont des chaleureuses tentations. Mais, hélas, comme toute créature du genre féminin tu vis dès l'intérieur et vers l'intérieur. <br /> Lorsque je te proposais de te balader dans Outremont, c'était en adoptant une autre démarche, une autre allure. Ce n'était pas pour aller t'exposer dans un lieu hyper-public pour tout de suite te réfugier dans tes songes profonds. <br /> Se promener dans Outrement, c'est sortir à l'extérieur pour aller vers un autre intérieur. C'est ôter tes habits en même temps que tu déchires ta lecture pour rester dans la nudité la plus sommaire. <br /> Ton corps doit devenir frêle et transparent. Il ne doit pas cacher la vue des autres car il doit se transformer en un ver pur et translucide. Puis quitter les grands boulevards pour t'introduire dans l'intimité de ces personnages habillés en noir et blanc. Te transporter le long de ces allées verdoyantes pour apercevoir d'un côté et de l'autre que tu n'existes pas puisqu'on ne te regarde pas. Tu as beau t'attarder à contempler la joie enfantine endeuillée qui laisse sa trace sur un carreau vert, où les années de l'innocence s'en vont pour laisser la place aux corvées familiales.<br /> Ces gens-là t'ignorent, et s'il y en a un qui te regarde c'est pour te dire que de toute façon en tant que goy, tu ne rentras pas au paradis. Que le Messie te jettera dans les abîmes pour le préférer lui ou elle. Et si c'est toi qui oses le regarder, il baissera ses yeux pour te montrer que tu n'as pas le droit à sa lumière. C'est en ce moment là qu'une paisible solitude enveloppera ton corps pour t'abandonner à cette chute méritée dans un trou noir qui éclipsera la lumière d'un soir d'été ou d'automne. ...
J
ôôôôôôô téknon, ôôôôôôô paaaaï! le Janus à deux faces (et non pas à deux visages, soyons sérieux, voyons!), le vrai, l'authentique,a bien ri de ta méprise!<br /> Oui, sache-le, Tatiana, ou chasse-le, mais je ne travaille pas pour Otis ; d'ailleurs je hais les ascenseurs!<br /> Trève de plaisanteries : ton texte me laisse sans voix, c'est tout ce que je peux dire. Je vois que tu allies travail et plaisir, passion et labeur.<br /> Go on, continue, macte virtute, adepte du gentleman phraseur du dieu aeroglisseur et auditrice amusée de Jacquot la paille. En un mot : les féloches, les encouragements et tutti quanti.<br /> <br /> See u, bye
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