Dangerous liaisons (VNO)
Attention, avertissement : vous devez prononcer : "daine-jeu-rousse li-é-zonsse", pour être dans le ton décadent-fin de siècle. En effet, la version montée au Sidi Braufman Theatre n'était pas en français dans le texte, mais dans la langue de Shakespeare. Il faut dire que le lieu est un centre culturel juif, et que les Juifs sont majoritairement anglophones à Montréal (c'est malheureux mais c'est comme ça). J'ai donc dû produire un effort absolument surhumain pour suivre pendant trois heures les dialogues d'une intrigue dont j'avais, dieu merci, cousu bien avant les fils à travers ma lecture du roman dans sa langue d'origine, qui, par la plus grande des coïncidences, se trouve être aussi la mienne. Et bizarrement, j'ai presque tout compris ! je veux dire, même les mots anglais employés, pas uniquement qui couchait avec qui ! étonnant, non ?
Ca m'a fait du bien cette petite remise à niveau intensive. Quant au spectacle, ouais, pas mal, mais un peu décevant au fond (surtout pour un premier spectacle dans la ville de mes rêves !). Le décor promettait beaucoup, en arrivant dans la salle j'ai été vraiment intriguée et impressionnée par ces grands murs sombres aux discrets lambris d'or, couverts de hautes glaces, qui coupaient la scène en une légère diagonale ouvrant sur un imposant lit à baldaquins fleuris, suspendu devant un amas hétéroclite de chaises, fauteuils et accessoires de théâtre à l'aspect poussiéreux. Première réflexion que je glissai subrepticement, mi-rigolarde, mi-sérieuse, à l'oreille d'Aurélie : "Le public va passer son temps à se regarder dans les miroirs, c'est horrible !". Mais je me suis laissée avoir par ma plaisanterie: plusieurs fois durant la pièce, je me suis surprise à mater le reflet un peu déformé des spectateurs, spectatrice de moi-même ! Et vous savez quoi ? C'est assez troublant. Comme si ce qui se passait sur scène nous concernait directement, nous, alors que nous nous croyions innocents, détachés des petits crimes entre amis qui s'y déroulaient. Comme pour dire au public : "regardez, ces gogos à plumes qui se pavanent, ces hypocrites éhontés, toujours prêts à détruire leur prochain, c'est vous...". Une façon bien provocante de remettre les pendules à l'heure n'est-ce pas ? Le stratagème était diabolique, dantesque ! Un trait de génie ! Eh bien la flèche est tombée à l'eau, parce qu'on avait du mal à y croire. Les miroirs auraient dû nous impliquer davantage, nous faire réfléchir, dans tous les sens du terme, et au lieu de cela, on passe son temps à se demander, mais à quoi tout cela rime-t-il ? Les mouvements chorégraphiques notamment, les pauses très "studio", le passage du vaudeville aux effets tragiques complètement ratés (pour ça les Anglais sont terribles, ils se marrent pour tout et pour rien, à aucun moment ils ne se laissent happer par l'émotion ! coriaces les Spare Ribs...), étaient, j'ai de la misère à le dire, ridicules. Au point que j'en étais gênée pour les comédiens, et pour nous ! Ok, certains jeux de scène comiques étaient voulus, mais le sujet de la pièce était trop à l'opposé pour que le public ne s'y perde pas. Résultat : on se fend la poire à la mort de Valmont, tué d'un coup de fleuret par le pâlot chevalier D'Anceny, car sa dulcinée, "Madame de Tourvelle", fraîchement suicidée, vient, zombie extatique (mais même vivante elle marchait ainsi), l'arroser de pétales de roses qui se répandent autour de lui, le clown blanc, sur son dernier joli drap blanc.
Bon, il faut relativiser. Peut-être que ce jeu ambigu, frisant le pathétique pour de rire, était tout à fait l'idée du metteur en scène, Alexandre Marine. D'ailleurs, elle est très bien servie par les comédiens, qui y mettent une belle énergie (celle du désespoir ? Rrrhaa, mauvaise langue !!), à part le zombie. Il nous mettrait effectivement en face de nous-mêmes, de notre consternante nullité, qui se pare de si beaux atours, paillettes, bons mots, étalage de culture, de relations, de rang, de sang... Oui, pourquoi pas. N'empêche que j'aurais aimé, à un moment donné, me sentir interpellée, non par mon beau reflet narcissique dans la Galerie des Glaces, mais par un événement, sur le devant de la scène. Mais peut-être suis-je encore trop dans l'apparence des choses pour les comprendre...