Compteur à zéro
Au dernier post - c'était il y a à peine deux jours ! - j'ai évoqué les multiples revers connus ces derniers mois, qui ont eu l'heur de rabattre un peu mon caquet et de m'inciter à toiser l'avenir d'un regard... heu... disons, neuf.
Quitte à tout reprendre à zéro, autant se concentrer d'abord sur ce qui nous fait plaisir. J'ai donc commencé à repenser théâtre.
En cherchant d'abord à m'auto-former, par la lecture de quelques ouvrages, qui valent ce qu'ils peuvent. Peu de bouquins intéressants sur la pratique amateur de la mise en scène. Je n'ai réussi pour l'instant qu'à dénicher une pseudo-théorie marxiste d'un ancien du "Berliner Ensemble", deux manuels québécois en "animation et auto-animation de jeune théâtre" (le deuxième traitant des projets collectifs) qui datent pas mal, ne serait-ce que par leur présentation, et enfin, un "essai" plus récent d'un assez pédant professeur de théâtre reconverti dans la direction d'amateurs, qui a, à mon sens, trop écrit pour ce qu'il a à dire. Tous ces livres ont l'avantage d'être minces, à défaut d'être vraiment convaincants. J'hésite à me tourner vers les pavés pour "pros", qui me donneraient des ambitions et des exigences démesurées. Quoiqu'un détour par les textes des Grands, Stanislavski, Kantor, Brecht (pour rester dans la veine socialiste), Novarina, Peter Brook, Chéreau, Sarrazac et quelques autres, ne serait pas à négliger, pour l'inspiration et la culture qui me manque encore cruellement, malgré mes années d'apprentissage. Entre ces classiques, qu'il est honteux de n'avoir pas déjà lu et médité (hum), et les pauvres feuillets susdécrits, rien à becqueter. N'hésitez pas à partager vos bibliographies...
Je dois ensuite déposer (encore !) dimanche prochain un "univers" de mise en scène susceptible de se greffer dans un macro-projet de performance. Cet univers doit tourner autour : soit des rapports hommes/femmes, soit de l'autorité, soit du temps, soit de l'individu vs. collectivité, soit de la règle vs. les exceptions. Il doit se décliner en cinq "niveaux", du moins au plus fort/ beau/ angoissant/ extraordinaire/ farfelu/ etc./ etc./ etc., à monter dans un seul lieu. Le but étant que des groupes de spectateurs circulent à travers les cinq univers sur les cinq thèmes qui seront traités par différentes équipes, en montant de niveau entre chaque, et participent, parfois directement, parfois indirectement, à ce qu'ils voient.
Pour l'univers "règles/exceptions" pour lequel j'ai réussi à pondre un truc à peu près cohérent, j'ai pensé à prendre cinq moments de la vie d'une famille (ou d'un simple parent) qui décide de recourir à l'euthanasie pour soulager de sa souffrance un des leurs, mais... c'est un peu "heavy" comme on dit ici. Et puis quelle progression y aurait-il, à part la progression intradiégétique, non forcément chronologique - et la progression dans l'insoutenable ?
En fait, mon idée était d'axer ça sur les différents degrés d'implication du spectateur, de l'émotionnel de base devant tout spectacle de souffrance, à la vraie réflexion par le débat, puis à l'action indirecte sur le cours d'histoire, jusqu'à prendre une position éthique et sociale, d'abord indirectement puis très directement. Ainsi, au 1er niveau il serait un simple "voyeur" de la souffrance du malade et de la question qu'elle pose sur l'euthanasie (scène entre le parent qui prendra la décision et le malade - peut-être dans sa maison et non à l'hôpital), au niveau 2 le parent parlerait de cette souffrance avec un frère/une sœur ou plusieurs (2 ou 3) qui rejetterait totalement la responsabilité de toute intervention dans la vie du malade, au niveau 3 le public choisirait qui prend l'initiative de l'acte d'euthanasie, le parent ou le médecin, après une scène entre eux deux, au niveau 4 c'est l'acte lui-même (enfin sa suggestion, claire mais pudique) et le basculement de la vie du survivant dont on suggère la tenue du procès, au niveau 5 la délibération du jury à la Cour dont les spectateurs font partie, avec vote final pour le verdict. Il ne s'agit pas de jouer les Robert Hossein, ce serait vraiment immonde de faire ça sur un tel sujet, mais disons que le dispositif est intéressant pour ce genre de théâtre "social".
Ok, c'est macabre, et vachement trop sérieux pour un projet qui se veut ludique... mais travaillé avec nuance, simplicité, respect et intelligence, sans caricature ni pathos, je crois que ça pourrait faire un superbe "univers". Qu'en pensez-vous ? Petit hic : chaque niveau doit "durer" entre 10 et 15 minutes... et il risque d'y avoir des longueurs ou des accélérations bizarres, même si la base est très riche. Mais y a sûrement moyen de moyenner... Autre burps : comment rendre justice (!) à une sérieuse délibération et à un vote raisonné et citoyen en 10-15 minutes ? et comment finir si le jury n'atteint pas l'unanimité (ce qui est plus que probable) ? Voilà qui pose certains problèmes techniques mais aussi éthiques...
Sinon... j'ai eu une seconde idée, cette fois autour de notre rapport au temps. Elle est beaucoup plus floue et moins découpée que la première, mais elle inviterait davantage au travail de création collective actif qui est réclamé par le projet général. Les cinq niveaux seraient reliés à un fil d'Ariane : notre propre création du temps. Le temps n'est pas un donné naturel de nos existences, il est une convention humaine, chacun sait cela. Le micro-projet consisterait donc à recréer le temps en 5 étapes, vers, par exemple, sa plus grande maîtrise, ou encore vers une libération totale de ses contraintes. Ca a le drôle d'avantage de présupposer un plateau presque vide ! Vide d'horloges surtout, et de tout ce qui marque le temps dans notre quotidien. Une belle manière aussi de proposer aux spectateurs un "break", un court passage hors du Temps, pour tenter de comprendre, de sentir notre rapport à lui.
Pour l'enchaînement des niveaux, plusieurs possibilités : 1. si on choisit l'option "maîtrise du temps", les cinq étapes pourraient aller d'un sentiment de découpage anarchique du temps par la société, où il prend sur l'individu une emprise écrasante faute de connaissance de sa réalité, qui le mène à la folie (séquence "allégorique" ou plus prosaïque, comme un employé de bureau qui court après le temps de travail), à une maîtrise personnelle, voire un asservissement de plus en plus radical, dictatorial (temps long sans activité de la prison, où le détenu subit le temps que d'autres ont programmé, jusqu'à l'idée de renverser la situation / temps du jeu comme apparition d'un contrôle possible par l'arrêt volontaire des activités pour se consacrer à autre chose / contrôle de soi et du corps - peut passer par travail-jeu de l'acteur sur son corps pour marquer le temps, le rythme ! / contrôle de son temps = de sa vie : refus de vieillir, sélection de la mémoire ou... décision de mourir). Le spectateur participerait d'une façon à déterminer, à chaque niveau sauf au premier, plus ou moins activement. 2. Avec l'option "libération du temps", on peut imaginer partir d'une de ces situations de contrainte très forte du temps sur l'individu et la société pour évoluer vers un sentiment d'allègement de ce poids par une maîtrise équilibrée ou par une prise de conscience de son absurdité, exemple : si on part de la volonté pathétique de contrôler le passage du temps sur soi, on peut continuer par le niveau 1 du précédent, puis par une plongée dans la répétition des gestes du quotidien avec des fines nuances qui introduisent du fantastique (type "Un jour sans fin"), puis sur l'invention d'une machine à remonter le temps, qui donc le contrôle et l'abolit, pour enfin ouvrir sur l'importance de la présence de l'Être contre le Temps... Aaaaah....
Oui... oui...
Tout ça c'est bien beau, mais aurais-je le Temps de creuser l'idée avant dimanche ? Ôôôôô, propice Heure Zéro, suspends ton cours....
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PS : si vous avez le temps de me donner votre avis sur ces beaux projets, ou sur votre préférence, ou encore d'autres idées, employez-le ! Ca me permettra d'en sauver...